Le Centre Pompidou consacre à l’oeuvre de Pierre Huyghe, artiste majeur de la scène française et internationale, une exposition à caractère rétrospectif qui présente une cinquantaine de ses projets et permet de prendre la mesure d’une oeuvre qui se déploie depuis plus de vingt ans.

Pierre Huyghe participe dès les années 1990 à la redéfinition du statut de l’oeuvre et du format d’exposition qu’il superpose parfois afin de leur faire prendre tour à tour la forme d’un journal (Anna Sanders, l’histoire d’un sentiment, 1997), d’un voyage en Antarctique (A Journey that Wasn’t, 2005) ou d’un calendrier annuel en forme de jardin circulaire (La Saison des fêtes, 2010). L’exposition ambitionne de rendre sensible la dimension vivante et organique de ses propositions qui envisagent l’espace comme un monde en soi, non orchestré, vivant selon ses propres rythmes.
L’artiste, qui avait fondé en 1995 l’Association des temps libérés ayant pour objet « le développement des temps improductifs, pour une réflexion sur les temps libres, et l’élaboration d’une société sans travail », questionne le rapport au temps, à la mémoire collective et réinvente de nouveaux modes de célébration, tel le projet One Year Celebration, 2006, qui ponctue le calendrier de jours encore non fêtés qu’il demande à différents artistes de célébrer, qu’il s’agisse du « jour anniversaire de l’art » ou d’une commémoration du silence. Tout en présentant certaines de ses œuvres les plus emblématiques, telles que Blanche Neige Lucie, No Ghost Just a Shell, Atari Light ou Streamside Day, cette exposition explore les processus et les enjeux esthétiques présents dès l’affirmation de son oeuvre, à la fin des années 1980, après sa formation à l’École nationale des arts décoratifs de Paris, et qui retentissent aujourd’hui dans ses deux derniers opus, The Host and the Cloud et Untilled.
« Ce qui m’intéresse, c’est construire des situations qui ont lieu dans le réel. » De son projet Extended Holidays, en 1996, où Pierre Huyghe fermait l’espace d’exposition laissé vacant pour emmener ses visiteurs potentiels en vacances prolongées, à l’expérience The Host and the Cloud déroulée en trois temps, lors de la fête des Morts, la Saint-Valentin et la fête du Travail en 2010-2011 dans le musée désaffecté des Arts et traditions populaires, l’exposition s’affirme comme un lieu de l’intensification de la présence et de la vitalité.
Pierre Huyghe fait des visiteurs de l’exposition des témoins dès leur entrée dans la Galerie sud du Centre Pompidou. « Je m’intéresse à l’aspect vital de l’image, à la manière dont une idée, un artefact, un langage peuvent s’écouler dans la réalité contingente, biologique, minérale, physique. Il s’agit d’exposer quelqu’un à quelque chose, plutôt que quelque chose à quelqu’un », explique l’artiste. Dans une démarche qui n’emprunte guère à la théâtralité mais qui investit des formes et des états de présence et que l’artiste vient activer le temps de leur présentation, l’exposition devient un espace hétérotopique, où l’art se rapproche au plus près de la vie. L’oeuvre y constitue l’enregistrement partiel d’une situation qui l’excède et qui s’écoule dans le réel.

« Je me concentre sur quelque chose qui n’est pas joué, mais qui existe, en soi. Je cherche non à définir la relation entre des sujets, mais à inventer les conditions qui peuvent déboucher sur la porosité, l’écoulement, l’indéterminé. Ce qui m’intéresse, c’est d’intensifier la présence de ce qui est, de lui trouver sa propre présentation, sa propre apparence, sa vie propre, plutôt que de la soumettre à des modèles préétablis. En constante évolution, l’exposition ne dépend pas de nous », explicite l’artiste. À l’instar de Untilled, cratère en jachère, matrice de formes plastiques en devenir qui s’ancrait dans le compost du parc de Karlsaue à Kassel en 2012, l’exposition du Centre Pompidou s’enracine dans les cimaises et vestiges des expositions précédentes et notamment celle de Mike Kelley qui la précède. Elle s’y inscrit comme le bernard l’hermite habite la tête de la Muse endormie de Brancusi dans l’aquarium surréaliste Zoodram 4. « J’essaie de travailler l’espace comme un organisme : ce ne sont pas tellement les points, mais la circulation, le jeu qui se produit entre ces éléments », précise l’artiste. Il vient rendre sensibles des connivences existant entre des oeuvres que parfois une décennie sépare, tels les adolescents portant des têtes d’animaux de la Toison d’or dans un parc à Dijon et circulant d’une façon aléatoire en dehors de la fable éponyme qui se confrontent avec les protagonistes de la procession costumée de Streamside Day ou avec Human, chien à la patte rose.

Geste architectural inédit dans la Galerie sud, l’extension de l’espace d’exposition s’ouvre vers l’extérieur en une excroissance, où certaines œuvres organiques et climatiques de l’artiste vont exister. L’exposition devient alors une étape dans cette oeuvre singulière et un point de départ vers le lieu des enjeux et des obsessions de Pierre Huyghe, attaché à l’ idée de construire un monde qui s’auto-génère et varie dans le temps et l’espace, indifférent à notre présence.

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