La Galerie Chantal Crousel est heureuse d’accueillir Blue Loop, la nouvelle exposition de Clément Rodzielski.
 
Très allongées, les peintures présentées dans l’exposition sont réalisées selon un même procédé : les deux extrémités de la toile sont jointes temporairement de manière à peindre le long d’un ruban continu sans début ni fin. Cette boucle est ensuite scindée, le support retrouve alors la planéité frontale d’un tableau. Chacune de ces peintures est définie par cette coupure, qui à la fois la sépare d’elle-même, et la rend visible dans sa totalité.
 
La peinture est ce lieu qui retient les différentes traces du temps de son exécution pour les présenter sans cesse à chaque regard qui se succède. Ici, suivant le mouvement continu des traces peintes, le regard parcourt la toile et peut indéfiniment reprendre d’un côté ce qui s’interrompt à l’autre bout.
Les peintures jouent et rejouent les événements qui se produisent à leurs surfaces : coups de pinceaux qui semblent se poser au survol de la toile, lignes, recouvrements... Ailleurs le mouvement de la brosse devient sinueux, s'attarde parfois à la césure. Apparaissent aussi le long de certaines toiles de petits encarts, des miniatures peintes qui invitent à s’approcher, interrompant ainsi un instant le parcours dans la longueur de la toile.
Mais la nuit quand les couleurs s’évanouissent dans l’obscurité, la peinture est-elle toujours là ?
Le mouvement formé par les traces de peinture est circulaire. Par certains aspects, ces tableaux pourraient s’apparenter au flux des images en streaming. Ces tableaux, comme ces images, existent et s’écoulent potentiellement en permanence. Qu’on trouve ces peintures saisies par la lumière rasante du matin ou par l’éclairage au néon du soir, que l’œil accroche une ligne, ou une autre, c’est toujours déjà le milieu du mouvement, le débit continu du tableau.
 
Une série sur papier montre des figures janiformes (Janus et autres figures à deux têtes). Coupés en deux, les visages ne sont plus tournés dos à dos, l’un vers le passé, l’autre vers le futur, ils se font désormais face. L'image se regarde elle-même dans un présent sans fin.
 
Au centre de l’exposition, un ensemble composé de bols de nouilles instantanées, un objet qui fait image lorsqu’il est en rotation à l’intérieur d’un four à micro-onde. La peinture court sur les bords, elle est sans fin. Des lettres s'égrènent u n t i... elles forment peu à peu un mot qui s'interrompt puis reprend, éternellement.
 
Le travail de Clément Rodzielski procède souvent par le choix d’un objet trouvé qui véhicule une image ou contient subrepticement sa possibilité. L’artiste y dépose des marques peintes. Ce processus vient interrompre l’apparente unicité de l’image-objet, la sensation de permanence, comme incréé, propre à toute marchandise. La peinture ajoutée est une manière de se réapproprier cet environnement, de reconsidérer les images et les objets comme un décor, de pouvoir y produire une action, de les habiter. Cette action a une dimension réflexive. Les traces colorées viennent révéler la vie des images, le temps court de l’objet-marchandise, mais aussi le temps long de l’imaginaire et du langage qui se redéploient continuellement.
 
Pour cette exposition, la peinture vient se confronter à d’autres images, celles immatérielles qui apparaissent temporairement sur des écrans.
La temporalité de ces peintures offre un contrechamp à celle des flux en boucle. Informations, images commerciales ou personnelles... Une répétition indéfinie, sans lien avec le contexte présent, insaisissable, hors de toute inscription chronologique. Les peintures répondent aux images qui ne s'imposent plus dans l'espace physique mais qui sont en permanence jouées, disponibles sans jamais pouvoir être touchées.
 
 
Simon Bergala

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