Leidy Churchman

Inner Dialogue

7 septembre — 5 octobre 2024


Pour Inner Dialogue, première exposition de Leidy Churchman à la Galerie Chantal Crousel, des références à ses expositions précédentes ressurgissent avec de nouvelles narrations et technologies. Ensemble, les peintures documentent le quotidien pour le transcender, rendant le réel spirituel, le substantiel merveilleux, et nous révèlent ce que signifie voir, sentir et vivre ce moment particulier. Ici, l’énergie puissante d’une idée devient animal, un signe devient refuge, un état d’âme une nuance de bleu, une carte de crédit une méditation sur la mort et la métamorphose. Les perceptions et sensations quotidiennes émergent d’abord en tant que telles avant de devenir bien plus. Avec son geste précis et évocateur, Leidy Churchman utilise la figuration comme moyen d’abstraction pour nous permettre de voir au-delà du visible, en transposant les concepts, les symboles et les récits bouddhistes dans des compositions à la fois familières et atypiques. La peinture devient ainsi un medium spirituel, un mécanisme de méditation de l’esprit, du mouvement, de la naissance, de la mort et de la vie, continuellement à l'intérieur et hors du cadre.

Les sujets abordés par l’artiste se caractérisent par l'omniprésence de l'infini : la diversité des références qu’iel choisit de peindre ; la manière dont les éléments picturaux reviennent sans cesse ; et l’usage de la répétition dans les peintures elles-mêmes.  Dans l’exposition, Leidy Churchman approfondit cette dimension en créant un dispositif rotatif en continu pour deux des œuvres présentées. Ce mouvement régulier est enclenché par un mécanisme simple, permettant à chaque tableau de tourner à l'aide de deux broches situées derrière le mur. Même si nos yeux cherchent un endroit où se poser, l’histoire continue de se dérouler en un éternel recommencement. 

« Avec ce mouvement, le tableau devient fleuve. Je voulais qu’il agisse comme un train miniature. Le voir émerger d’un tunnel pour disparaître ensuite procure un frisson. L’esprit peut prétendre à l'oubli et ainsi vivre une nouvelle expérience », précise l’artiste.


Inner Paradise, le plus vaste tableau en mouvement, met en scène des girafes, grandes et petites, gambadant et se prélassant dans un paysage baigné de lumière. Au fur et à mesure que le tableau se déroule, la représentation d’un joyau exauçant les souhaits — symbole bouddhiste de la richesse infinie de l’esprit — apparaît puis disparaît en même temps que les girafes dans notre champ de vision. L’effet est celui d’un mantra visuel qui, lorsqu’on le regarde, a le pouvoir de perturber le processus conventionnel de notre pensée. Inner Paradise offre un point de vue intime sur la pratique méditative et le désir d’éveil de Leidy Churchman. L’usage de ces images et symboles archétypaux semble également renvoyer à l’existence au sens large, à la manière dont l’histoire de la vie se fait et se refait, et bien que nous n’ayons aucun contrôle sur le chaos de l’univers, nous pouvons tout de même essayer de le percevoir à travers ses mystères et couleurs étranges. 

Avec Giraffe Tigle Birth, une girafe femelle, debout, met bas. Derrière elle, le ciel se scinde entre la nuit et le jour, tandis que le visage de l’animal affirme sa sérénité et son endurance, quel que soit son environnement. À ses pieds et à sa tête se trouvent des tigles [tiglés], des gouttes d’énergie qui, selon le bouddhisme tibétain, sont la représentation la plus pure de notre être. La représentation de la girafe, peinte avec tendresse sur un fond de montagnes, est bien plus qu’une scène bucolique ; elle regorge d’excès narratifs, de naissance et de calme, de nuit et de jour, de début et de fin.

Un ensemble d’œuvres plus petites alternent entre le tangible et l’atmosphérique, s’efforçant d’imprégner le regard de sentiment, de spiritualité et de mysticisme. Leidy Churchman témoigne à nouveau de son intérêt à voir au-delà du substantiel, tout en considérant que notre manière de percevoir résulte de toutes nos dettes et de tous nos dons. La prolifération visuelle renvoie à la philosophie : le rendu hyperdimensionnel d’une œuvre de James Turrell joue avec la perception, un cadrage serré sur une rangée de citrons droits les rend à la fois étranges et merveilleux. L'artiste a déjà travaillé avec le symbole de la carte MasterCard, indissociable de systèmes glorifiés — capital, dette, cupidité — et qui semble ici tendre à une autre existence : le bleu foncé est morose et inquiétant, tandis que la superposition de points promet un voyage interstellaire.

D’autres œuvres suggèrent des univers galactiques aussi bien que des paysages minuscules, un regard vers le ciel ou s’arrêtant à l'horizon. Dans Primordial Ooze, les crocs acérés et la bouche d'une divinité protectrice bouddhiste traditionnelle se referment sur une silhouette humaine. Cela représente l’ego transformé. Ces gardiens sont censés dévorer le monde ordinaire, un réconfort et une menace dans l’univers de Leidy Churchman.

Pith Instruction, autre tableau de grand format, est un plan rapproché sur un sanctuaire, représentant une scène composée d’objets compactés : coquilles de conques, cristaux et réservoirs d’eau. Une représentation du bodhisattva Manjushri, épée à la main, s’apprête à couper l’illusion et l’ignorance. Les points suggèrent à nouveau l’approche d’une autre perspective, le voyage subliminal passant d’une perception à une autre. Internal Loop, autre tableau mobile de l'exposition, invite à traverser l'existence moderne — une peinture composée de mots évoque nos écrans et leur scrolling, avec des termes comme « meurtre », « jus », « dépendance » et « pisse » présentés sur un même plan. Nous voici renvoyés aux réseaux sociaux et à leur défilement, où génocide, vidéos d’animaux et une fête d’anniversaire font tous partie de l'image animée, ce qui a pour effet de les mettre sur un pied d'égalité. Le flux constant d’images-mots fait également référence à la publicité, aux enseignes ou aux couvertures de livres, objets médiatiques n'ayant qu'une seule fin : la consommation et son obsession. Dans Internal Loop comme dans Inner Dialogue, plus grande peinture de l’exposition, les mots peints incitent à approfondir notre réflexion. Ils « nous prennent par la main vers un concept afin que nous puissions aller au-delà », explique Leidy Churchman. « Nous tenons pour acquis le fait d’ouvrir les yeux et de regarder le monde. Nous pensons que le monde nous envahit, mais c’est en réalité nous qui venons à lui. Nous projetons notre vécu sur ce que nous voyons. Nous percevons à peine ce qui est là ». Inner Dialogue peut ainsi se comprendre comme une invitation à regarder différemment : le monde, les autres et, surtout, nous-mêmes. 


—Svetlana Kitto

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