Ce projet au Consortium s’inscrit dans une série de trois expositions, chacune centrée sur un aspect spécifique du travail de Willem de Rooij de ces dix dernières années. Les deux premiers volets ont été présentés au Centre d’Art Contemporain Arnolfini à Bristol (novembre 2014), regroupant des collages réalisés en 1999. Puis à la Galerie Petzel à New York (avril 2015), autour d’un ensemble de tapisseries abstraites. La synthèse de ces expositions sera présentée au MMK-Museum für Moderne Kunst à Francfort en 2016 et fera l’objet d’un ouvrage publié par König, Londres et Les presses du réel, Dijon.

Depuis ses débuts dans les années 1990, le travail de Willem de Rooij s’engage dans la production d’objets-frontières qui impliquent des mondes, des fabriques hétérogènes, des rapports d’échanges et de conflits. Son œuvre renvoie à différents états de la production, matérielle ou conceptuelle, abstraite ou concrète, à des espaces intermédiaires de représentation qui renouvellent la question des images, de leur usage et de leur singularité.

Willem de Rooij appartient à cette génération qui a traversé la fin d’un système (aucun n’est éternel), la phase terminale du capitalisme, sa crise structurelle ; qui a vu l’accumulation sans fin des biens de production, l’exténuation d’anciens rapports de force et de distribution ; qui en a tiré quelques leçons : une manière d’en finir avec la dialectique du néo et du post, d’explorer différentes possibilités de narration et d’appropriation ; et de voir ainsi comment se créent des réseaux plus complexes d’information, dans lesquels peuvent se produire des formes condensées ou contractées (un tissage, un bouquet de fleurs, une photographie, un film), qui ne se laisseraient pas déchiffrer, nommer ou gouverner par le seul jeu des causalités, des références et des significations.

Chez Willem de Rooij, « Il y a de l’Un », comme disait l’autre. Entendons là l’Un-tout-seul, qui récuse le rapport, la dialectique du sujet. La série des Bouquets », initiée en 2002, repose littéralement sur cette logique de différenciation et d’isolement. Chaque fleur est le représentant unique d’une espèce, qui ne se répète ni ne s’unit. Les trois « Bouquets » exposés au Consortium forment des nœuds, des structures faites de ces unités déchaînées.

Mais il y a aussi et inévitablement de l’Autre, altérité constamment présente depuis le début, comme dans sa collaboration avec Jeroen de Rijke (décédé en 2006) et dans la plupart de ses installations, qui impliquent d’autres artistes ou artisans, œuvres ou artefacts issus de sources historiques ou anthropologiques, associations temporaires qui produisent une lecture à plusieurs niveaux.

Ainsi la gigantesque installation conçue spécifiquement pour Le Consortium, constituée de cinquante mannequins et de la collection de vêtements sportswear conçue dans les années 1980 par la styliste sino-hollandaise Fong Leng, renvoie à ces agencements collectifs mais aussi à l’indécidable du statut de chaque chose, à la fois autonome et reliée, où se juxtapose l’histoire des techniques et des savoirs, rejoignant l’hypothèse de la représentation d’un groupe humain, d’une famille sans parenté.

Les créations de Fong Leng jouent un rôle central dans l’œuvre de Willem de Rooij depuis 2006, comme dans sa mise en scène à la galerie Chantal Crousel des pièces haute couture des années 1970. La théâtralité de ces costumes contraste avec le style de cette production plus standardisée, traversée par l’idéal paradoxal d’une beauté éphémère et les évolutions de l’industrie mondialisée de la mode. Entre la rareté et la consommation, de la parure au ready-to-wear, on perçoit toute une histoire contemporaine du travail, de la main d’œuvre, de la valeur et de l’authentique, ainsi que les deux apparentes faces d’un même marché des corps et des objets, uniques et multiples.

De l’un à l’autre, il n’y a pas de rapport, d’harmonie, ni davantage de programme, mais l’évidence d’un conflit originel, l’impossible d’une articulation symbolique, ordonnée et signifiante.
––Stéphanie Moisdon

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