Pour son exposition personnelle à la synagogue de Delme, Clément Rodzielski propose d’entrée de jeu un geste contradictoire : un espace aveugle, sur lequel butent les regards et les corps. Un volume centrifuge autour duquel tourner, comme on tournerait autour d’une question irrésolue, et qui nous invite néanmoins à aller voir ailleurs, à la lisière, dans les marges et les coursives…

On évoque souvent au sujet de Clément Rodzielski son rapport aux images : découpes, déplacements, décadrages, remontages de ces images qui nous entourent, images dévorantes, de la communication, du cinéma, de la mode, du web…
Alors comment réinvestir des images errantes, devenues transparentes à force d’être si visibles, des images dont il semble falloir salir quelque peu l’évidence. Comment habiter avec nos corps, nos peaux et nos imaginaires ces surfaces lisses, de sorte qu’elles nous touchent et se frottent enfin à nous ?

Clément Rodzielski parsème subrepticement l’espace d’exposition d’une série d’adhésifs transparents. Autant de surfaces qui portent les traces du sol sur lequel elles ont été apposées, empreinte du réel, dans ce qu’il a de plus prosaïque et mineur : des poussières, des cheveux, des fibres, des gravillons, que viennent ponctuer quelques yeux découpés dans des images publicitaires, des yeux qui nous renvoient nos propres regards comme en miroir…

Au rez de chaussée, la structure qui s’imposait comme un bloc impénétrable, devient depuis l’étage un plateau destiné à porter quelques gestes simples et ténus : dessins et objets affleurent cette surface, au centre de l’architecture. On les regarde accoudé, en position d’attente.

Au-delà de cet espace à fleur de regard, l’artiste déploie plusieurs séries d’œuvres récentes, réalisées à l’occasion de l’exposition. Sculptures, peintures, objets, dessins floutent les limites entre espaces intérieurs et extérieurs ; objets et images se présentent comme des peaux retournées, des surfaces dénudées… Sur le rebords des fenêtres, des sculptures sont recouvertes par des empreintes de lunettes aux motifs d’engrenage, comme si un corps machine était venu littéralement manger de ses yeux aveugles ces blocs d’argiles.  

L’exposition de Clément Rodzielski est constituée de fragments épars, corps démembré, dont les mille yeux sont aussi mille morceaux, éclatés dans un lieu où l’espace entre les choses compte tout autant que les choses elles-mêmes. Il faut marcher et regarder en tous sens, attendre peut-être, tourner et retourner, regarder autour de soi et sur soi. Le titre d’une des œuvres de l’exposition propose un point de vue possible : de la fenêtre depuis le lit…

Marie Cozette

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