L’exposition de Clément Rodzielski se joue dés le carton d’invitation, un quadrichrome sans qualité (blanc/gris/bleu/marron) reproduit dans l’espace de la Douane sous la forme d’une peinture qui couvre l’intégralité d’un mur. Le carton, tout comme ce wallpainting, constitue le « fond » de l’exposition sur lequel les oeuvres sont placées. Une image vient là supporter d’autres images et en même temps, elle s’accorde au format de la surface existante. Sur la peinture murale s’en superpose une autre : des copiés-collés de fragments de peintures de façades parisiennes réalisées dans les années 1980-1990 dans le cadre de commandes publiques (des environs de la place de Clichy, dans les rues de Charonne, de Metz et Oberkampf ).

Tout comme dans les panoramas, dont une des rares survivances est la fresque située au-dessus des guichets de la gare de Lyon — où sont réunies toutes les villes sur la ligne Paris-Lyon-Méditerranée, une soudaine concentration des images des lieux fait parcourir au spectateur différents quartiers de Paris en un instant. Toutes ces peintures rappellent confusément des rues de Paris au visiteur, mais ici, il les découvre proches, à sa hauteur. Il y a bien circulation, répétition, échange mais la qualité matérielle de l’image est restituée (une image murale sur une image murale).

Clément Rodzielski a l’habitude de composer des figures à l’aide d’images préexistantes — souvent contraintes par les limites des technologies de reproduction — pour obtenir des compositions géométriques en évitant précisément l’artifice expressionniste du collage. Par exemple, en découpant des magazines de mode, en photocopiant des papiers miroirs (Miroirs noirs), en agençant des formes-rebuts que, continûment, l’ordinateur reconfigure et enregistre. Dans l’exposition, ces « souvenirs d’ordinateur » deviennent le support de dessins ou d’annotations manuscrites. Rodzielski leur confère une nouvelle valeur d’usage possible (carte de voeux, carton d’anniversaire, illustration d’un poème d’Emily Dickinson....). Dans une même logique, Rodzielski réinvestit une pièce ancienne réalisée alors qu’il était étudiant. L’exposition semble prendre ici la forme d’une rétrospective en mode mineur, à la manière dont sur YouTube par exemple, on trouve le plus souvent la parodie de l’original avant l’original lui-même. Et de la sorte, c’est un nouveau rapport à l’oeuvre d’art, plus amateur, qui s’annonce où chacun peut produire/choisir/diffuser sa propre image.

Faire usage de l’espace artistique pour repenser l’économie des images, ne pas cesser de produire des modes de circulation, rendre visible leur conditions technologiques de circulation en utilisant s’il le faut, les erreurs et les contraintes informatiques, le recyclage des éléments de médiation (catalogue, press release, cartons d’invitation) : ce sont des questions que nombres d’artistes newyorkais ont soulevé ces dernières années et notamment Continuous Project, Wade Guyton, Seth Price, Josh Smith, Kelley Walker. Ceux-ci ont mis en place de véritables dispositifs de production qui appliquent ces principes, qui « produisent de la production1 ».

Mais il n’y pas de machines à produire chez Rodzielski, juste une série de gestes pour réagir aux contraintes, une suspension non stratégique, plus impromptue, de ce flux, et un sens de la nécessité, celle de reposer les termes de l’échange dans l’économie des images, de transformer justement la monnaie en monnaie de nécessité (un décapitalisme sans décapitation1 ?).

— Catherine Chevalier

1 Voir John Kelsey, « Decapitalism », in Rich Texts: Selected Writings for Art, Isabelle Graw et Daniel Birnbaum (éd.), Berlin, Sternberg Press, 2011.

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