La Galerie Chantal Crousel est heureuse d’accueillir À bâtons rompus, la nouvelle exposition personnelle de Fabrice Gygi. L’artiste propose un ensemble de nouvelles aquarelles et de peintures, suscitant ainsi continuité dans son exploration de l’aquarelle sur papier, et rupture, par le choix du médium inédit pour lui, de l’huile sur toile.

Fabrice Gygi poursuit la série d’aquarelles initiée en 2018, dans laquelle la ligne est au centre de son travail et de sa réflexion. Il présente plusieurs œuvres sur papier reprenant le motif de la grille et de l’étoile. Peintes en gris foncé sur des fonds aux couleurs pastel, elles affirment davantage la présence du motif au centre de la feuille. D’autres aquarelles, aux couleurs vives et primaires, ont toujours recours au motif de la grille, tout en provoquant sa déstructuration. Les lignes se croisent en un entremêlement de formes et de couleurs dont le centre, le point de fuite qui structure la composition, nous échappe. Les aquarelles de Fabrice Gygi rappellent la lecture centripète que fait Rosalind Krauss de la grille, qui mène « des limites extérieures de l’objet esthétique vers l’intérieur », dont les bords laissés volontairement blancs sont « une représentation de tout ce qui sépare l’œuvre d’art du monde ».
L’éclatement de la grille mène Fabrice Gygi aux huiles sur toile, technique inédite qu’il expérimente dans une série de cinq tableaux. Il apparente cette transition à « une Saint-Barthélemy », faisant référence à la fin de la rigidité, la mesure, l’aspect mat de l’aquarelle, remplacés par l’excès de la matière généreuse et brillante de la peinture à l’huile. Plus encore, l’abandon de l’angle droit pour celui à quarante-cinq degrés ne suggère plus une coupure nette, mais le croisement du fer, les armes qui se lèvent ou encore le doigt levé de l’autorité, le canon en position de tir ou la position érectile du sexe masculin. L’image martiale est corroborée par le récit que fait l’artiste du processus créatif comme d’une lutte physique avec ses toiles au large format et aux épaisses couches de matière travaillées au platoir. Les lignes, qui s’entrecroisent et s’interrompent, rendent visuellement le rythme saccadé d’une convers
ation à bâtons rompus. Elles s’échappent au-delà des limites du châssis, décentrent la toile et effacent le motif : l’œuvre n’est qu’une petite partie du monde qui l’entoure, dont l’artiste a absorbé les événements et les a retransmis sur son support. En contraste avec la lecture centripète de la grille, les huiles sur toile correspondent à une vision centrifuge, où l’œuvre « nous oblige à une reconnaissance du monde situé au-delà du cadre ».

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